Chers amis d’I.V.V.! Chacun de vous le sait. Olivier ne fait pas que « pédaler ». Non seulement, malgré ses propos dubitatifs et les regards inquiets des seuls nouveaux, il traverse intempéries et dénivelés à haut pourcentage, sans jamais défaillir, mais il a, en plus, la lourde tâche de faire vivre, par le site qu’il a créé, notre groupe I.V.V. Il inscrit dans la longue durée, au travers de la banalité de certains de nos jours quotidiens, ce grand moment d’effervescence morale, d’effort physique, de plaisir bucolique et gustatif, comme de chaude convivialité, que sont, chaque année, pour les Ivvins, les jours de l’Ascension. Bref, grâce à sa compétence (et chacun sait combien pour les Ivvins la compétence est une valeur !) en informatique, à son assiduité et à sa fidélité au Mac, il participe activement à la construction de la mémoire collective d’IVV. Il l’inscrit dans nos ordinateurs et comme dit le dicton : « La parole s’envole, ce qui est écrit reste. »
Or, Olivier m’a demandé de mettre par écrit la petite allocution finale que j’avais faite lors de la dernière soirée de notre randonnée en Roussillon .Vue la responsabilité du demandeur, il ne m’était pas possible de me dérober. J’ai donc accepté. Mais vous conviendrez avec moi que la tâche n’est pas facile. Non seulement en raison du « surbookage » ambiant des fins d’années universitaires, mais, surtout, comment transposer dans un texte écrit, ce foisonnement d’idées et de paroles improvisées qu’a suscité chez moi le soutien chaleureux et gai, aux clameurs stimulantes, de l’Assemblée des Ivvins ? N’ai-je pas partagé, durant ce moment, le vécu des « Chevaliers de la Table Ronde » ? Encore un paradoxe d’IVV ! Faire revivre à l’époque postmoderne et républicaine, les grands moments du Haut Moyen Age : effort viril, grandeur des sentiments moraux, solidarité et égalité (certes, seulement entre pairs !), courtoisie envers les dames et épreuves d’adoubement pour les entrants. Serait-ce abuser de la métaphore que de dire qu’il y a un peu de l’image et de l’effet « Roi Richard » en la présence de notre « Chef », que l’époque moderne nous amène à appeler « Historique » ? Mais, comment faire entrer dans une écriture que la Lettre rend inerte le dynamisme de la Parole vivante ? Impossible ! Ce ne peut être le même texte ! Un abstract ? Peut être ! Des oublis ? Sûrement ! Oui, des mots, sans contexte et sans ambiance ! Bref, voici, le synopsis de ce qui aurait pu être un film.

 
Discours prononcé par Jacques Saliba le 22 mai à Estagel

Chers Ivvins,

Certains d’entre vous ne le savent peut-être pas, mais, je suis ici en mission !
Lors des nombreuses festivités d’IVV à Paris, auxquelles je participe avec Brigitte Saliba, j’ai fait part à certains d’entre vous de ma possibilité d’organiser un circuit IVV en Suisse. Par amitié et par esprit démocratique, mais aussi, sûrement, par prudence et par expérience, ceux ci m’ont suggéré d’accompagner la sortie en Roussillon. Je pourrai, ainsi, me faire une idée de votre fonctionnement et soumettre à l’Assemblée d’IVV mon projet. Olivier a été mandaté pour me proposer de bénéficier de la place laissée libre par l’absence de Dominique.
Durant quatre jours j’ai, donc, suivi, dans les voiture-balais, la colonne IVV. J’ai pu, en toute empathie, croyez-moi, vous voir pédaler et partager avec vous la vie quotidienne, hors vélo, du cycliste : boire et manger, débattre et plaisanter… Comme tout le monde sait que je suis sociologue et qu’en IVV, un spécialiste est toujours reconnu, j’ai senti s’élaborer, de jour en jour, une demande implicite : « Toi qui est formé à observer les groupes, à écouter, à évaluer…dis-nous comment on est ! «. Vous m’avez compris ? Mais je ne vais pas vous faire le coup de « l’audit », du « coaching », des « bilans de compétences »…Vous y êtes en plein par votre boulot ! Non, je ne vais pas vous faire entrer, ici, dans les jeux du sérieux. Je me contenterai de vous renvoyer, par petites touches, autant que possible avec humour, les impressions que mon regard et mon écoute flottante de sociologue ont saisies au hasard des moments de la vie en IVV. Car, je ne vais pas vous faire, non plus, le coup de l’analyse scientifique et objective. Vous en lisez suffisamment dans vos journaux et en écoutez bien assez à la radio ou à la télé ! Trop investi dans le groupe, je n’ai aucune envie de le faire. Je tiens à partager avec vous, en toute naïveté et aveuglement (« l’aveuglement volontaire » ça existe) les Journées de l’Ascension. A trop analyser la fête ne risque-t-on pas de devenir un trouble fête ?

Le style IVV ? L’alliance, rare à notre époque, de l’efficacité rationnelle et de la solidarité chaleureuse, de la rigueur comptable et de la générosité! Certains parleront de dialectique ou de complémentarité, d’autres d’antinomie. Mais, le consensus à IVV sublime les paradoxes. C’est ce qui en fait la richesse et la vitalité. Certes « le mouvement des mollets » aide bien les choses, disons que c’est une raison nécessaire mais non suffisante.
Prenons, par exemple, la direction ! Elle présente l’association miraculeuse du « dynamisme sarkhozien » ( je ne parle pas bien sûr d’idéologie), Philippe, et de la « force tranquille », François. D’ailleurs, au cœur du « commandement » domine la rationalité matérielle : informatique, timing rigoureux, cartographie, planning écrit avec kilométrage exact, sans parler du délicat équilibre qualité/prix dans le choix des caves et des resto-hôtels …
Le modèle d’autorité est, ici, exemplaire. A une époque où se donne à voir la personnalisation du pouvoir, avec toute l’âpreté que déchaîne la jouissance de son appropriation privée, les politiques devraient s’inspirer du modèle IVV ! Ici, l’autorité n’est que fonctionnelle. Elle ne dure que le temps d’un circuit. Ensuite, chacun des « chefs » entre dans le rang. En effet, seuls ceux qui organisent l’excursion peuvent prétendre au droit de commander et la légitimité devient, alors, forte ! La colonne IVV n’a rien d’une armée en retraite. Personne ne râle ou conteste ni ne manifeste la moindre incertitude. La cohésion du groupe est totale. On peut, dire qu’à IVV la confiance dans la « chefferie » est grande.


La solidarité et la générosité, sont des valeurs partagées par tous. Mais, là encore, la division du travail est exemplaire. L’« Entraide » devient, ainsi, la fonction de Thierry. Il l’accomplit avec une aisance et une spontanéité remarquables. On le voit présent et actif dans tous les lieux et les moments qui font appels à la coopération humaine. Une poussée à Corinne dans une montée difficile ; un pneu ou une chambre à air à changer ; une chaîne de vélo à réparer…, bref, toujours, un don de soi, soutien efficace et discret au découragement et au moral quand il est bas !

Pas de « machisme » à IVV ! Les hommes dominent par le nombre, mais, pas par la force. Chacun est respecté dans son genre, dans son rythme et dans sa fonction. Prenez Anne Marie. En tant que femme, ne montre-t-elle pas dans l’effort, une détermination calme, silencieuse mais solide comme la traversée des siècles ? Essayez de l’interrompre. La réponse fuse : « alors je ne peux plus jouer ! »

La compétence intellectuelle semble l’emporter sur la performance physique. Regardez, avec quelle intensité de l’attention a été écoutée Corinne lorsque, en tant que médecin, bien que nouvelle et sûrement moins entraînée, elle s’est mise à expliquer les problèmes de la prostate et la prévention qu’ils exigent.

En ce qui me concerne, personne ne m’a mis en gêne par un regard étonné du fait que j’accompagne les cyclistes, en voiture, en compagnie des épouses.

Mais, quelles épouses !

Avec Francine, certaines subtilités de la culture canadienne m’ont été transmises dans un accent français qui m’a étonné. J’ai découvert, grâce à elle, qu’il peut y avoir de la passion dans l’exercice de la fonction DRH et que le travail dans l’alimentaire est fort utile lorsqu’on participe à la composition d’un pique nique. De plus, fidèle et solidaire dans sa mission, elle sait, en compagnie de Jean-Louis, si on disparaît, vous attendre et vous retrouver !

Martine m’a fait vivre des moments de rare émotion. A chaque fois que je l’entendais dire, avec des trémolos dans la voix, « mon Jacques », mon cœur ne faisait qu’un tour, pour, quelques millièmes de secondes plus tard, réaliser qu’il s’agissait, en fait, de « Son Jacques ».

Christine m’a permis de comprendre une chose difficile à comprendre pour un homme. Comment associer l’attention qui caractérise le dévouement dans le « maternel » à la disponibilité de l’amitié d’une « bonne copine ». Personne mieux qu’elle n’était en mesure de reconnaître, à 70 km/h, un des siens parmi le moindre cycliste à l’arrêt. N’importe qui d’autre aurait confondu un membre d’IVV avec un étranger.

Je ne parlerai pas, bien sûr, de la qualité des conversations dans les voitures, tant par leur contenu que par la variété de leur style et par la richesse de leur thématique.

Les séances de dégustation dans les Caves sont un des grands moments de la vie d’IVV. Modèle de rituel, elles se déroulent avec la précision récurrente à tout rite. Epreuve tant physique qu’intellectuelle, elle associe de manière remarquable le physiologique au cognitif, le gustatif au mental. IVV a, dans ce domaine, ses experts voire ses érudits. Par la performance dans ce domaine, on peut atteindre le sommet de la hiérarchie des compétences et de la reconnaissance chez les Ivvins. Ses experts fixent la norme. L’enjeu est de taille, car, ils orientent le choix et la dépense. Dans le silence religieux de ces instants sacrés, les corps sont éloignés les uns des autres, afin que chacun, dans le recueillement le plus total, puisse faire, en toute individualité et responsabilité, la sélection qui va engager la consommation de l’année. Seuls, dans un mouvement quasi professionnel, les verres et les bouches sont mobiles. Ils couvrent à peine le murmure, au ton différent des indécis et des compétents : « comment tu le trouves ? ».

Existent, aussi, les rituels des repas et des pots. Mais celui qui a la plus forte teneur en religiosité est, pour les amateurs, la séance du cigare. Elle a son espace propre, où n’entrent que des initiés avec une gestuelle qui associe jouissance, grâce et lenteur du sacré. Les yeux furtifs et brillants donnent au visage, auréolé de fumée, un air à la fois malicieux et grave. Les joues, profondément creuses, aspirent une « chose » cylindrique de forme apparemment phallique, mais, que certains, au regard des lèvres, peuvent y lire la symbolique d’un sein. La communication semble austère, tant les mots sont pesés et le regard évaluateur. La boisson ne relève que d’un choix rare et coûteux

Il est temps de conclure !
A voir ces visages crispés par l’effort, ces corps trempés par les averses… on ne peut pas ne pas se demander si ces hommes à vélos ne sont pas mus par un amour que tout le monde ne partage pas: la passion de la souffrance ! A moins que ça ne soit la recherche de cette condition subjective particulière qui nous prend après l’effort : dépassement de soi, réassurance par la preuve, à chaque jour renouvelée, de sa capacité à tenir jusqu’au bout. Bref, sentiment de victoire après l’épreuve ! La randonnée à vélo ne s’insère-t-elle pas dans la chaîne des défis pour les quinquas ?

Mais, attention, ne nous méprenons pas. Il y a beaucoup de joie, de plaisir et de bonheur à passer ces jours de l’Ascension, tous ensemble, dans le groupe IVV

PS L’assemblée des Ivvins a voté à une large majorité pour que la prochaine sortie se déroule en Côtes-du-Rhone du nord, avec comme organisateurs Thierry Labour et Jacques Saliba.

Jacques Saliba